Lors de la dernière Assemblée générale du Conseil central de Québec Chaudière-Appalaches (CCQCA), le 7 février, une conférence sur les enjeux sociaux et économiques relatifs à la hausse du salaire minimum à 15 $ l’heure, revendiquée par les milieux syndicaux, a été présentée par M. Serge Petitclerc du Collectif Québec sans pauvreté et par M. Raphaël Langevin, chercheur associé à l’IRIS.
Le 1er mai 2017, le salaire minimum passera de 10,75 $ à 11,25 $ l’heure. Baliser le salaire minimum ne date pas d’hier! En 1919, la Loi sur le salaire des femmes (et des enfants) a été établie pour contrecarrer la surexploitation sauvage des femmes et des enfants. Ensuite, la Loi sur le salaire raisonnable (1937) a été votée pour éviter l’abus de certains travailleurs hommes. Depuis 1979, la Loi sur les normes du travail s’applique désormais à la grandeur du Québec et à la majorité des secteurs. Plus récemment, il y a eu de grandes luttes historiques et des batailles, telles la Marche du pain et des roses (1995), celle du Front de défense des non syndiquéEs en 2007, puis les Marches mondiales des femmes de 2008 et de 2009.
Si le salaire minimum n’a cessé de progresser depuis 1965, le pouvoir d’achat, cependant, n’a pas suivi la même courbe ascendante. Au sommet en 1974, il est en baisse constante depuis, à l’exception d’une légère hausse à la fin des années 2000. Actuellement, le pouvoir d’achat des travailleurs au salaire minimum est inférieur à celui de 1974.
Qui profiterait de cette hausse à 15 $?
Si, depuis les années 1980, on avait indexé les salaires, on aurait déjà atteint 15 $ de l’heure.
La hausse du salaire minimum touche près d’un million de travailleuses et travailleurs. En 2016, on estimait à environ 211 000 le nombre de personnes travaillant au salaire minimum alors que 420 000 auraient gagné jusqu’à 10 % de plus. Les gens rémunérés en deçà de15 $ l’heure représentent environ 971 000 personnes, soit 25 % des travailleurs du Québec.
Certains préjugés nous font croire que celles et ceux travaillant à bas salaire sont des adolescents, des étudiants, des travailleurs à temps partiel désirant gagner de l’argent de poche. La réalité, pourtant, est toute autre. Deux tiers de ces travailleurs sont des adultes de 20 ans et plus et majoritairement des femmes; 63 % ne sont pas aux études; 40 % travaillent à temps plein; et 72 % estiment occuper des emplois permanents. Le quart de ces travailleuses et travailleurs considèrent ce salaire comme leur principal gagne-pain. Parmi eux, 16 % ont des enfants à charge. Si le taux de diplomation dans cette catégorie est plus bas que la moyenne, 80 % ont toutefois un diplôme d’études secondaires ou postsecondaires. Ce sont principalement les secteurs du commerce, de l’hébergement et des services qui engagent 63,9 % d’entre eux.
Le drame derrière ces chiffres est que ce revenu minimal permet tout juste de couvrir les besoins de base. Travailler en deçà de 35 heures par semaine signifie pour eux la pauvreté assurée. Non syndiqués, ces travailleurs sont aussi plus susceptibles d’être victimes d’infractions à la Loi sur les normes du travail de la part des employeurs. Autre préjugé : ces emplois sous-spécialisés et non-valorisés sont considérés comme demandant peu de compétences. Mais on omet souvent de dire qu’ils exigent de nombreuses qualités très spécifiques : sociabilité, charisme, empathie, bonne expression de soi, langues multiples, bon calcul mental, rapidité d’exécution, résistance à un environnement sous pression, etc.
Impact d’une hausse du salaire minimum sur l’emploi.
Deux groupes de travailleurs se révèlent plus à risque advenant une hausse du salaire minimum à 15 $ l’heure : les jeunes âgés entre 15 et 24 sans diplômes d’études secondaires (DES) et les femmes âgées entre 15 et 54 ans n’ayant qu’un DES. Les emplois à risque, évalués sur une période d’un an, sont d’environ 20 000 : les jeunes sans DES perdraient environ 4 500 emplois; les femmes avec un DES, 7 500; les hommes entre 25 et 54 ans ayant un baccalauréat ou en deçà perdraient 5 700 emplois; les femmes possédant un baccalauréat, 1 300.
Mais cet impact négatif sur le nombre d’emplois finit par se régulariser. En Colombie-Britannique, par exemple, on l’on a effectué dans le passé une hausse rapide de 2 $ du salaire minimum la situation était complètement rétablie 2 à 3 ans plus tard.
Par ailleurs, pour contrer cette situation de perte d’emplois non spécialisés, il faut favoriser et encourager une meilleure scolarisation des travailleuses et des travailleurs, ce qui leur permettrait de mieux s’ajuster aux transformations de notre société, de plus en plus technologique. Il faut aussi lutter contre la disparité entre les genres en matière d’emploi.
Plus d’impacts positifs que d’impacts négatifs
En conclusion, une hausse effective du salaire minimum entraînerait la réduction des inégalités de revenus et la sortie de la pauvreté pour un grand nombre de travailleuses et de travailleurs. Elle augmenterait le pouvoir d’achat d’une grande partie de la population, ce qui bénéficierait à l’économie, en plus d’autres impacts sur le marché de l’emploi et les revenuis des entreprises qui bénéficieraient d’une main d’œuvre plus stable, avec un meilleur salaire.
Vincent Mauger
Vice-président aux relations intersyndicales